Eulogy of Ezra Mileikowsky by Gil Mileikowsky
Oraison funèbre d'Ezra Mileikowsky par Gil - 22 juin 2017
Merci à tous d'être venus.
Merci, monsieur l'ambassadeur Meir Itzhak d'être venu, vous qui êtes un ambassadeur d'Israël par excellence à ce jour.
Merci Bibi d'être venue, et surtout, merci d'être également venue à Tel Hashomer, lorsque le pauvre Aba’le a fait une crise cardiaque... après qu'Ima’le était là en 2014. On ne peut pas parler d'Aba sans parler d'Ima. Aba’le aimait à dire : "Ma plus grande réalisation dans la vie a été de convaincre Ima de m'épouser !" Mais un jour, je suis allé au Musée Churchill à Londres et j'ai vu que Churchill avait dit la même chose.
Aba parlait couramment l'anglais, il aimait citer Shakespeare. Tout le monde pensait qu'Aba allait devenir acteur. Mais comment donc Aba a-t-il rencontré Ima ? Eh bien, pour se faire de l'argent, il était invité à venir faire des spectacles. Il faisait des imitations des professeurs de l'école, de Moshe Sharet et de toutes les célébrités de l'époque. Il y avait un professeur au Gymnasia Hertzeliya qui aimait bien les filles. Pour l'imiter, Aba a donc choisi une jolie fille dans le public. C'était le jour de l'anniversaire de la cousine d'Ima. Aba a choisi Ima pour faire son sketch. Des années plus tard, lors d'un dîner de Seder alors que nous étions déjà en Belgique, Ima nous a dit qu'elle avait déjà remarqué Aba avant ce jour-là.
Vous ne le croirez peut-être pas mais mon grand-père maternel, qui était noble, était venu de Russie en Allemagne avec absolument rien au départ et il a bâti un empire à Berlin en très peu de temps. Le plus important, c'est que ses gènes lui ont dit la même chose que les gènes de notre autre grand-père, à savoir qu'il y avait un "GRAVE DANGER !". Un jour, il a entendu Hitler parler, des années avant que celui-ci n'arrive au pouvoir. Il habitait encore à Berlin à l'époque avec sa famille. C'était les Beverly Hills de Berlin, il avait une belle grosse voiture, du genre Rolls Royce. Il a commencé à dire à tout le monde de partir. Il a dit à Einstein de partir, il a dit à toute la communauté juive de partir. Et il a été le premier à partir, avant tout le monde. Il a déménagé en Italie, et quand il a vu que Mussolini marchait sur les traces d'Hitler, il est parti en Israël rejoindre son frère qui était là-bas et non aux Etats-Unis.
Et pourquoi Aba a-t-il fait des études pour devenir avocat ? Un jour, je lui ai posé la question. Il m'a dit : "Si je n'avais pas eu de licence pour exercer la profession d'avocat, Ima ne m'aurait pas épousé. Et comment, a demandé Grand-père le père d'Ima Aba a-t-il l'intention de faire vivre sa fille ?" "Quel est votre capital ?" a-t-il demandé à Aba. Et Aba l'a regardé et a répondu : "J'ai un grand nombre de frères".
Vous ne le croirez peut-être pas, mais Aba est arrivé à New York en 1950 avec un seul dollar en poche. Bien sûr, même si un dollar à cette époque valait beaucoup plus qu'aujourd'hui, ce n'était quand même qu'un dollar. C'est tout ! Mais il est arrivé là-bas avec un énorme amour dans son cœur pour Ima’le et aussi avec la puissance de son esprit, de son âme, de ses capacités, de sa volonté et avec sa passion pour la vie, une passion qui est tellement rare. Je peux vous dire que depuis que je suis revenu vivre avec mes parents en 2010, quand j'ai quitté Los Angeles pour "seulement deux semaines" il y a sept ans, je peux dire que c'est cette passion pour la vie qui l'a fait vivre. Je sais que je n'aurais pas été capable de tenir le coup comme l'a fait Aba. Vous savez, Aba ne s'exprimait pas beaucoup. Mais une fois il m'a dit : "Tu sais, d'un côté c'est bien de devenir vieux et de voir comment les choses évoluent... mais d'un autre côté, ce n'est pas tellement bien de devenir vieux..."
Bref, à l'époque, quand Ima a dit à sa mère, ma grand-mère maternelle, qu'elle allait épouser Aba, sa mère a éclaté de rire. Ima lui a demandé : "Pourquoi te moques-tu de moi ?" et sa mère a répondu : "Comment peux-tu te marier ? Tu ne sais pas faire la cuisine !" Alors Ima a acheté un livre de cuisine. C'était un livre très connu en ce temps-là, c'était vraiment le meilleur livre de cuisine. Et comment s'appelait ce livre ? The Way to a Man’s Heart ! (le chemin vers le cœur d'un homme). Et Ima’le est devenue un vrai cordon-bleu. Aucun doute là-dessus ! Aujourd'hui encore, j'ai la nostalgie des plats que notre Ima’le préparait.
Depuis que nous somme revenus en Israël, beaucoup de choses sont arrivées, des choses étonnantes. Au début, Aba était comme un enfant qu'on laisse en liberté dans un parc d'attractions. Il était tellement excité, il disait : "Mais d'où viennent tous ces bâtiments ? Jadis, je marchais là pieds nus...". A l'hôtel où nous étions descendus au début, il y avait un restaurant avec un très beau buffet pour le petit-déjeuner. Quand Aba’le l'a vu, il s'est presque mis à courir et il a foncé, comme un missile téléguidé, sur quoi ? le Lakerda (de la bonite marinée). Ton père aussi, je crois, aimait le Lakerda, n'est-ce pas? Oncle Bentzi? C'est ce que Likale m'a dit.
Chaque fois qu'il y avait un événement où se rendait feu Shimon Peres alors qu'il était déjà président, il venait toujours dire bonjour à Aba ; ça étonnait beaucoup mes cousins. Un jour, nous sommes allés à la fête du Yom Haatzmaut et il y avait à la fin la remise du Prix Israël. Nous sommes allés dans les coulisses pour vous voir. Et puis après que vous soyez parti, il ne restait plus que nous là-bas et tout à coup Shimon Peres est sorti et s'est approché de nous. Aba lui a demandé : "Shimon, tu te souviens de moi ?" et pour finir, nous avons pris des photos avec Shimon Peres. Quand nous sommes revenus au Palais Médical, j'ai demandé à Aba : "Aba, d'où connais-tu Shimon Peres ?" Et Aba a juste fait un geste de la main, pour dire "laisse tomber", comme ça, et c'est tout ce qui a été dit à ce sujet.
J'ai appris beaucoup de choses dans la vie et j'en savais beaucoup sur ce que faisait Aba, même si je ne lui ai jamais dit que je le savais. Aba était un homme aux multiples talents, comme mon frère vient de vous le dire. Grâce à ses talents d'avocat, il a mis sur pied des sociétés-écran (du type de ce qu'on appelle en anglais des "Front Companies"), ce qui a permis à de nombreuses entreprises européennes, dans les années 1950 et 1960, de contourner l'embargo arabe et de travailler avec Israël. Plus tard, lorsque l'embargo pétrolier arabe avait force de loi et que la situation allait de mal en pis, c'est Aba qui a eu l'idée d'un oléoduc entre Eilat et Ashkelon. Peu de gens connaissent sa contribution à la construction de cet oléoduc. Aba a décidé à ce moment-là que ce rêve allait devenir réalité. A l'époque, il était l'un des représentants de la société Mannesmann en Israël, qui était alors le plus gros fabricant d'oléoducs du monde. Et Aba a fait venir l'un des membres du conseil d'administration de Mannesmann, qui était allemand non, juif. Il l'a fait venir en Israël pour la première fois, et en une semaine il a réussi à le convaincre de l'importance stratégique d'Israël pour l'Allemagne et pour le reste de l'Europe. L'oléoduc entre Eilat et Ashkelon a été construit en moins d'un an. Environ 80% du financement de cet oléoduc je ne suis pas sûr du pourcentage exact, mais c'est un chiffre très élevé, en tout cas entre 50% et 80% est venu d'Allemagne. Voilà quelle a été la contribution d'Aba pour alléger la pression de l'embargo international sur Israël et faire arriver le pétrole en Europe grâce à cet oléoduc.
Aba était un homme d'affaires brillant, il m'a transmis beaucoup de paroles de sagesse. Et l'une des choses qu'il m'a dites, c'est ceci : "Regarde, le temps qu'il faut pour créer et investir dans une petite entreprise est le même temps que pour créer et investir dans une grande entreprise ; donc si tu veux te lancer, autant concentrer tes efforts sur une grande entreprise". Et comme, selon les calculs de probabilités, il n'y a qu'une entreprise sur dix qui réussit, il travaillait souvent simultanément avec dix entreprises.
Les liens entre Aba et Mannesmann ont également porté des fruits dans un autre domaine. A l'époque, il y avait une filiale de Mannesmann qui s'appelait Mannesmann-Richter et qui fabriquait des tanks, la Division Panzer. L'histoire, c'est que les Britanniques n'ont pas tenu leurs promesses d'aider le Général Tal à construire le tank Merkava et c'est Aba qui l'a rendu possible en ouvrant la porte à la technologie allemande des véhicules blindés. Aba est également responsable d'avoir ouvert la porte aux sous-marins, dont on parle beaucoup en ce moment... des sous-marins d'Allemagne … les deux premiers venaient du chantier naval de Kiel. Aba était le représentant du chantier naval de Kiel. Il représentait aussi un chantier naval suédois où ont été construits les supertankers pour Zim et il a également participé à de très nombreuses autres initiatives, notamment ce que vous voyez à chaque fois que vous traversez Latrun en voiture : l'usine de mortier et de ciment. Ce sont les choses dont nous a dotés Aba.
Il y en avait beaucoup qui pensaient qu'Aba avait perdu sa lucidité d'esprit... la vérité, c'est qu'il parlait très peu. Et je vais vous donner un petit exemple intéressant qui montre à la fois sa lucidité et son sens de l'humour. Aba n'aimait pas faire de l'exercice physique et avec les années, c'était devenu plus dur. Le plus grand défi pour le personnel du Palais Médical, c'était de lui faire faire son programme de kiné. Et il y avait ce petit bout de fille, extrêmement douée, pas vraiment belle mais avec une détermination d'acier qui a réussi à motiver Aba et à le pousser à faire ses exercices. Elle s'appelait Stav (c'est-à-dire automne) et Aba l'appelait Kaitz (l'été). Elle croyait qu'il était sénile et elle le corrigeait : "Ezra, je m'appelle Stav!" et lui il disait : "Mais non, mais non, ce n'est pas possible, tu t'appelles Kaitz!". Et pourquoi voulait-il l'appeler Kaitz ? Parce que ça la faisait rire et qu'elle en était heureuse.
En parlant du personnel soignant, je voudrais noter ici et vous dire le bien que ça m'a fait de voir le personnel formidable de Ramat Efal, que j'ai présenté à Bibi précédemment. Tai et Mila sont ici avec nous. Tai est un type, un homme très intelligent, un arabe israélien. Désolé de te dire ça, Bibi, mais il vote pour Meretz !
Bibi : "On peut toujours espérer !"
Pourquoi est-ce que je mentionne Tai et pourquoi est-ce que je l'adore autant ? Quand nous sommes revenus de Jérusalem en septembre 2014 et qu'Aba’le a fait une crise cardiaque, nous n'avons rien vu. Le premier qui s'est rendu compte de l'état critique d'Aba, c'est Tai et il a immédiatement demandé à Magen David Adom de venir.
Bon, on dirait qu'il ne me reste plus beaucoup de temps, nous continuerons donc de parler d'Aba au moment du Shloshim et je vous raconterai quelques autres jolies histoires.
Ces derniers temps, Aba demandait à Li : "Quelle est la longueur de la vie ?" C'est une question très intéressante. C'était quelque chose de très important pour Aba’le et il aimait citer Nietzsche qui a dit en son temps : "Sans musique, la vie serait une erreur". L'une des chansons qu'aimait beaucoup Aba’le était "My Way" de Frank Sinatra. Il y a quelques années, Aba’le m'a dit, en citant les paroles au Roi David : "Ne m'abandonne pas au temps de ma vieillesse !" et il aimait aussi écouter la chanson de Jacques Brel "Ne me quitte pas". Comme je l'ai dit un jour à Likale, chaque fois que j'entends cette chanson, je pense à Aba’le … Ne me quitte pas !
Je voudrais remercier toutes les personnes qui se sont occupées avec moi de mon remarquable Aba, qui m'ont aidé à en prendre soin. Je dois dire que j'ai été très surpris que tant de gens me disent combien mon amour pour Aba était rare. Je pensais que c'était la chose la plus naturelle du monde et que tout le monde aimait son père de la même façon. Parce qu'Aba’le a fait absolument tout pour nous ! Au-delà de toute attente. Pour moi, c'était le minimum que je pouvais faire. En fait, ce qui était le plus naturel pour moi, j'en suis convaincu, c'était de faire le maximum pour mon Aba’le.
Faire la liste de toutes les personnes que je voudrais remercier serait long et si je n'en mentionne que quelques-unes, il y en a qui pourraient s'offenser que je ne les aie pas citées. Mais il y a une personne en particulier que je voudrais remercier du fond du cœur, c'est l'oncle Bentzi, ZL. Et pourquoi ? Eh bien, c'est parce que c'est lui qui a interviewé de nombreuses candidates des Philippines pour le poste de gouvernante. Et il y avait cette femme-là, il lui a demandé si elle savait cuisiner. Elle a répondu non. Puis il lui a demandé si elle savait faire du secrétariat. Et elle a répondu non. Alors il lui a dit : "Qu'est-ce que vous faites donc ici, à passer un entretien pour ce travail ?" Mais c'est elle qu'il a choisie. J'ai eu l'occasion de rencontrer la femme qui accompagnait l'oncle Bentzi pendant ces interviews et je lui ai demandé : "Comment se fait-il qu'il ait choisi Li ?" Et elle m'a dit : "Il l'a choisie parce qu'elle était intelligente !"
Beaucoup d'entre vous ont entendu parler de Wonder Woman et vous pensez peut-être que Wonder Woman c'est Gal Gadot. Pas du tout ! Wonder Woman est ici devant vous ! Elle s'appelle Likale, Lilushka, Likili et tous ces surnoms affectueux que lui donnait Aba. Elle est triste et chamboulée maintenant qu'Aba n'est plus là pour l'appeler comme ça. Juste un petit exemple : un jour, Aba était très fâché contre Li parce qu'elle avait osé prendre un jour de congé pour aller à Jérusalem. Lorsqu'elle est revenue, il s'est plaint et elle lui a dit : "Mais Gil était avec vous !" Il lui a répondu : "Gil, c'est Gil et Li, c'est Li". Pour lui, c'était clair qu'il y avait deux personnes sur lesquelles il pouvait compter 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et il n'avait pas le moindre doute quant au fait que nous devions être là, jusqu'au dernier instant. La nuit où Aba’le nous a quittés, je l'ai embrassé pour lui dire au revoir parce que je pensais partir en Belgique le lendemain. Bien sûr, je n'y suis pas allé et Likale était avec lui dans ses derniers moments.
Aba’le ne disait jamais "Je t'aime !" Il aimait dire : "ףפוק ןייד דניוזעג א" Puisses-tu avoir la santé !" Eh bien donc, mon Aba’le, ףפוק ןייד דניוזעג א !